1. Comprendre le trouble

Un délire est une croyance erronée persistante non partagée par les autres membres du même groupe culturel et résistant à toute preuve incontestable du contraire. 

Epidémiologie épisode délirant aigu
Epidémiologie épisode délirant aigu

Les symptômes.

Il existe plusieurs modes d’expression du délire, on parle de thèmes et de mécanismes différents. Le thème est le sujet du délire. Les principaux thèmes sont : 

  • la persécution (appelée « paranoïa » dans le langage courant) : conviction délirante d’être victime d’autrui (d’une personne ciblée, ou d’un complot…). La personne peut être convaincue d’être sur écoute, d’être poursuivie par les renseignements, d’être persécutée par le président de la république etc… Le délire peut se centrer sur un persécuteur désigné.
  • le délire mystique : le sujet va décrire une expérience mystique extraordinaire mais sans être capable de rapporter cette expérience de façon adaptée et cohérente, il va par exemple se désigner comme le nouveau prophète ou voir des démons sans critique ou prise de distance, le vécu peut être très exalté ou au contraire très anxieux
  • le délire somatique : plus rare, la personne va rapporter des modifications anormales de son corps (certaines parties étant décrites comme grandissant ou rétrécissant)
  • le délire de référence : le sujet va acquérir la conviction que deux inconnus en train de parler à voix basse sont en train de parler à son sujet avec des intentions malveillantes
  • le syndrome d’influence / automatisme mental : la personne est convaincue d’être contrôlée par une force extérieure et de ne pas répondre de ses actes (il s’agit d’un critère de gravité et d’urgence qui peut amener à l’hospitalisation sous contrainte, le sujet étant à risque de passage à l’acte)
  • le délire érotomaniaque (syndrome de Clérambault) défini comme la conviction délirante d’être aimé(e) (le plus souvent par une personne en position d’autorité comme un professeur, un médecin…)
  • le délire de jalousie : obsession délirante de jalousie centré le plus souvent sur le conjoint
  • les thèmes peuvent être variés et peuvent être associés entre eux (on parle alors de délires polymorphes).

Les mécanismes du délire sont les rouages par lesquels le délire s’échafaude :

  • le mécanisme imaginatif est la production d’idées par l’imagination (le sujet n’ayant pas conscience de cette production)
  • le mécanisme interprétatif est un biais d’interprétation d’un stimulus réel perçu (le sujet va par exemple faire des erreurs sur les intentions des personnes qui s’adressent à lui en interprétant certaines expressions ou certains propos de façon biaisée)
  • le mécanisme intuitif est plus difficile à repérer, le sujet exprime qu’il « devine » une vérité cachée, qu’il possède des dons de clairvoyance par exemple
  • le mécanisme hallucinatoire est la production d’idées délirantes associées à une hallucination, c’est-à-dire une perception sans objet. Le sujet va par exemple interpréter les voix qu’il/elle entend comme des voix d’anges bienveillants ou au contraire comme des voix démoniaques.
  • D’autres symptômes non spécifiques peuvent être associés, comme une déréalisation (impression que la réalité n’est plus la réalité) ou une dépersonnalisation (impression de ne plus avoir l’identité habituelle). Les affects peuvent être abrasés (indifférence) ou exaltés (excitation, anxiété).
     
Signes cliniques de l’épisode délirant aigu

Les critères diagnostics

Le diagnostic d’épisode délirant aigu est généralement facilement posé lorsque la rupture avec l’état antérieur est brutale (apparition d’idées délirantes brutales), il est plus difficile si la personne a une personnalité préexistante accompagnée de croyances extraordinaires, d’intérêts marqués pour l’ésotérisme et les sciences occultes, pour les OVNI, le paranormal etc.

Dans ce cas, c’est souvent la participation affective intense, l’intensité des idées délirantes et l’absence complète de critique du sujet (anosognosie) qui suggèrent le diagnostic. 

Le critère de durée de l’épisode délirant aigu est supérieur à un jour et inférieur à un mois. Le DSM-IV distingue par ailleurs les psychoses schizophréniformes (jusqu’à six mois d’évolution) des troubles psychotiques aigus brefs (de moins d’un mois).
 

3. La neurobiologie

Les mécanismes de l’épisode délirant restent encore peu connus. L’hypothèse la mieux validée actuellement repose sur une augmentation de la dopamine. La dopamine est un neurotransmetteur (une molécule qui permet aux neurones de communiquer entre eux). On retrouve l’origine de ces neurones dans l’aire tegmentale ventrale.

neurobiologie

Tous les antipsychotiques exercent une part de leur activité en faisant diminuer la dopamine au niveau central. Ce mécanisme peut également être responsable d’effets indésirables, comme un tremblement, une rigidité, des mouvements anormaux, surtout s’ils sont pris à fortes doses et au long cours, ces effets secondaires sont beaucoup moins fréquents avec les nouvelles molécules. D’autres travaux de recherche sont en cours pour déterminer d’où pourrait provenir cette perturbation de la dopamine. On retient pour l’instant une interaction entre des facteurs génétiques d’une part, et des facteurs environnementaux d’autre part. 

Au niveau de l’imagerie cérébrale, les sujets à risque de présenter un épisode psychotique aigu présentent des modifications complexes (notamment des perturbations dans le fonctionnement du gyrus temporal droit moyen, du gyrus temporal supérieur droit, du para-hippocampe droit, de l’hippocampe droit, du gyrus frontal moyen droit et du cortex cingulaire antérieur). 
 

5 - Evolution des conceptions

Hier.

L’épisode délirant aigu était anciennement nommé Bouffée délirante aigue (BDA). La notion de bouffée indiquait que l’épisode se résorbait spontanément en quelques semaines et que sa durée restait inférieure à six mois (sans quoi il s’agit d’un diagnostic de schizophrénie ou d’un autre trouble psychotique chronique).
Le « délire d’emblée » était décrit par Magnan en cinq points : 

  • soudaineté du début
  • polymorphisme du délire
  • labilité de l’humeur et note confusionnelle
  • absence de symptômes physiques 
  • résolution rapide de l’accès

Plusieurs formes d’états délirants aigus ont été décrits dans l’école Française ( par exemple la paranoïa rudimentaire de Janet, la paranoïa abortive de Gaupp, le délire sensitif de Kretschmer…) et ne sont plus usités aujourd’hui.
 

Aujourd’hui et demain.

Différents courants de recherche tentent d’expliquer les mécanismes de l’épisode délirant aigu. Voici quelques pistes en cours d’exploration :

  • la piste immuno-inflammatoire : l’épisode délirant aigu serait associé à des perturbations immunitaires qui pourraient perturber le fonctionnement du cerveau
  • la piste du stress oxydatif : l’épisode délirant aigu serait associé à des perturbations du stress oxydatif, c’est-à-dire un défaut des capacités de notre organisme à réguler les radicaux libres, des molécules qui peuvent dénaturer et perturber le fonctionnement cérébral
  • une réduction des capacités inhibitrices du GABA, un neurotransmetteur dont la fonction serait de réguler « l’embrasement cérébral »
  • une augmentation du glutamate, un neurotransmetteur excitateur associée à une hypofonction des récepteurs NMDA (récepteurs du glutamate dans le cerveau)

6 - La prise en charge

QUI : en cas de suspicion d’un épisode délirant aigu, la consultation chez un psychiatre, le plus rapidement possible, est recommandée. 
QUAND : dès que possible, lors de l’apparition des premiers signes évocateurs (idées délirantes).
COMMENT : la consultation peut se faire dans un centre médico-psychologique. Il s’agit de centres publics sectorisés. Elle peut se faire également auprès d’un psychiatre ou d’un établissement libéral (non sectorisés). Le soin sous contrainte (soins à la demande d’un représentant de l’état ou à la demande d’un tiers) ne peut se faire que dans un établissement public.
 

Les médicaments.

Le traitement de référence de l’épisode délirant aigu est un médicament de la classe « antipsychotique » (anciennement appelés neuroleptiques) Les recommandations préconisent la prescription d’un antipsychotique de seconde génération en première intention lorsque cela est possible. 

Des antipsychotiques peuvent être associés entre eux, notamment pendant les phases aigues de la maladie, lorsqu’une sédation est nécessaire. Le traitement d’entretien recommandé est toutefois la monothérapie antipsychotique. Certains traitements peuvent se prendre en comprimés ou en injection à libération prolongée (en injection toutes les deux à quatre semaines) ce qui permet d’améliorer l’observance. La durée minimum recommandée de traitement antipsychotique pour prévenir la rechute psychotique est de deux ans.

Liste des antipsychotiques prescrits le plus fréquemment en France en 2018
Antipsychotiques de seconde génération (en première intention)
clozapine (Leponex ®)
olanzapine, pamoate d’olanzapine (Zyprexa ® Zypadhera®)
rispéridone, rispéridone microsphère (Risperdal ® Risperdal consta®)
quétiapine (Xeroquel ®)
amisulpride (Solian ®)
palmitate de palipéridone (Xeplion ®, Trevicta ®) 
aripiprazole (Abilify ®)

Antipsychotiques de première génération (en seconde intention)
halopéridol, décanoate d’halopéridol (Haldol ®)
chlorpromazine (Largactil ®)
cyamémazine (Tercian ®)
lévomépromazine (Nozinan ®)
fluphénazine, décanoate de fluphénazine (Modécate ®)
pipotiazine, palmitate de pipotiazine (Piportil ®)
pipampérone (Dipiperon ®)
pimozide (Orap ®)
penfluridol (Semap ®)
zuclopenthixol, décanoate de zuclopenthixol (Clopixol ®)
flupentixol, décanoate de flupentixol (Fluanxol ®)
loxapine (Loxapac ®)
 

L’épisode délirant aigu s’accompagne fréquemment d’angoisses. La prise d’anxiolytiques au long court n’est pas recommandée car elle peut entrainer des risques de dépendance et une aggravation des troubles cognitifs. L’angoisse doit idéalement être prise en charge soit par un traitement médicamenteux (modification de l’antipsychotique) soit par une psychothérapie spécifique. 
 

L’hygiène de vie.

Pour les personnes ayant épisode psychotique aigu, le maintien de conditions de vie les plus saines possibles est une priorité pour limiter l’impact de l’épisode. Sont recommandés en particulier :

  • l’arrêt du tabac et du cannabis et des autres drogues, la limitation de la consommation d’alcool
  • le maintien d’une activité physique. En cas de difficulté, des applications gratuites sur smartphones permettent de faire des exercices à domicile sans matériel de sport.
  • le maintien d’une bonne hygiène de sommeil : lever à heure fixe, une ou deux siestes de vingt minutes maximum dans la journée, pas d’exposition aux écrans dans l’heure qui précède le coucher, température de la chambre à coucher entre 17 et 18 degrés, utilisation d’un masque de nuit et de boules quies si nécessaire
  • maintien d’une alimentation riche en fibres et en protéines (légumes verts, salades, légumineuses), réduction des féculents (privilégier le riz complet aux pâtes et pomme de terre), réduction de la viande (privilégier les viandes blanches comme la dinde) et des laitages (remplacer les yaourts par des compotes sans sucre ajouté). Certains antipsychotiques peuvent augmenter l’appétit et par conséquent la prise de poids, maintenir une bonne alimentation est capital pour le bien être, la motivation et l’énergie. Les sucres raffinés (par exemple dans les pâtisseries) et les graisses saturées (par exemple dans la Junk Food, certaines pizzas préparées) sont à diminuer au maximum. 

  • maintien des contacts sociaux en favorisant les activités d’extérieur
  • maintien du contact avec la nature (parc, randonnées…)
  • suppression des distracteurs (notifications sur le téléphone portable etc) pour améliorer la concentration et la planification de tâches.
Importance de l’hygiène de vie
Importance de l’hygiène de vie

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